Coup de semonce et coup de balai. Les pronostics du candidat
de la France Insoumise à l’élection présidentielle se sont révélés exacts, au
point que le terme « dégagisme » qu’il avait imaginé pour décrire la
situation, est aujourd’hui repris par de nombreux commentateurs politiques et
des politiciens eux-mêmes.
Dans le SElPHI#03, j’avais osé appeler à un sursaut, espéré
que le peuple souverain se lèverait pour empêcher la vague macroniste de tout
envahir sur son passage. Mais il est difficile de lutter contre une vague, et
la France Insoumise n’a pas échappé à la règle. Mais c’est
Le premier parti de France (et de loin…)
Tout d’abord, parlons du premier parti de France, celui des
abstentionnistes. Ils furent presque vingt-quatre millions et demi, soit 51,3%
du corps électoral. Normal, diront certains.
Et bien non, ce n’est pas normal. L’assemblée nationale a un
pouvoir central dans la 5è République : celui de voter les lois, le budget
de l’état et de la sécurité sociale, mais aussi de déposer des motions de
censure (elle est alors un contre-pouvoir possible. Mais c’est aussi et surtout
un lieu de débat essentiel, l’endroit où bat le cÅ“ur de la démocratie.
Quant aux abstentionnistes, ils n’ont jamais été aussi
nombreux depuis que « la 5è » existe. C’est un triste record, et de
loin puisqu’on est 8 ou 9 points au-dessus du précédent record de 2012.
Rappelons au passage que l’abstention avait déjà largement
progressé entre le premier tour de l’élection présidentielle et le second tour,
preuve que le président Macron n’a pas reçu de la part du peuple un signal d’adhésion.
Aujourd’hui, à l’issue du premier tour, il a obtenu à peine plus de 15% des
suffrages relativement au nombre des inscrits, un triste record là aussi, tant
en pourcentage qu’en nombre de voix. Notons au passage que les candidats REM
ont obtenu sur l’ensemble du territoire environ 6.400.000 voix, contre 8.660.000 à l’élection présidentielle, soit 2.260.000
voix de moins. Cela confirme que l’adhésion au programme ou à la personne n’existe
pas et aussi que l’abstention a frappé fortement le mouvement du président que
les autres, mais évidemment pas dans les mêmes proportions. Autrement dit, REM
limite la casse alors que pour la première fois dans l’histoire de la 5è
république, les électeurs n’ont pas amplifié, en nombre de voix, l’engouement du
mouvement qui avait gagné les présidentielles.
Qui s’est abstenu et pourquoi ?
Demandons-nous maintenant qui s’est abstenu. Selon Brice
Teinturier, directeur général de l'institut Ipsos, il s’agit des "catégories
classiques de l'abstention, prioritairement les jeunes et les ouvriers. Ainsi, 66% des ouvriers et 63% des 18-24 ans ne sont
pas allés voter. Ce phénomène assez classique "s'est
vérifié de façon amplifiée". À l’inverse, les catégories
socioprofessionnelles les plus aisées, qui d’ailleurs ont plutôt voté pour les candidats
de « En Marche » se sont beaucoup moins abstenu ; c’est aussi le
cas des retraités (sauf ceux qui avaient voté pour François Fillon qui eux, se
sont davantage abstenu que la moyenne). En conséquence, l’abstention frappe
plus particulièrement la France Insoumise et le Front National dont l’électorat
se situe majoritairement chez les ouvriers et employés (https://www.franceinter.fr/politique/premier-tour-des-legislatives-qui-sont-les-abstentionnistes)
Si on s’intéresse enfin aux classes d’âge, il est clair que
les jeunes se sont davantage abstenu qu’à la présidentielle. Peu de
commentateurs ont analysé cet état de fait, le mettant trop facilement sur le compte
du désespoir des jeunes ou de la « volatilité » de leur vote. Mais il
y a une autre explication. Une partie des jeunes est dans la galère ;
ceux-là sont à traiter comme d’importe quelle catégorie sociale dans la même
situation, l’âge ne changeant rien à quoi que ce soit dans leur décision d’aller
ou de ne pas aller voter. Quant aux autres, ceux qui font des études ou ont
fait des études, ils sont souvent éloignés de leur bureau de vote car la
plupart du temps, ils se sont éloignés du foyer où ils ont grandi et n’ont que
très rarement fait le déplacement jusqu’au bureau de vote auquel ils étaient
rattachés. Oui ils se sont déplacés pour les présidentielles, le plus souvent
avec l’espoir qui va avec leur âge, mais ensuite, eu vu du résultat et des pronostics
diffusés à longueur d’antenne, ils ont préféré rester chez eux. Avouez-le, les
gens, il est quand même plus facile de se déplacer quand le bureau de vote est
à trois-cent mètres que lorsqu’il est à dix, vingt, ou cinquante kilomètres,
voire davantage.
Ajoutons que la confusion s’est ajoutée à ces phénomènes.
Dans de nombreuses circonscriptions, les affiches n’ont pas été collées (cela
est désormais du ressort des mouvements et non de l’état), du matériel
électoral (professions de foi et bulletins de vote) n’ont pas été envoyées ou l’ont
été tardivement ou encore de manière incomplète. Enfin, dans la plupart des circonscriptions
se présentaient pas moins de dix candidats, parfois beaucoup, ce qui a à l’évidence
« effrayé » les citoyens les moins politisés ou les moins « fidélisés »,
perdus qu’ils étaient dans cette multitude de candidatures qui les empêcha de
faire un choix.
Ensuite, et je le dis sans animosité tant je sais l’engagement
des militants, le PCF a choisi de faire une campagne indépendante et de
présenter en de nombreux endroits des candidats contre la France Insoumise. Le résultat
est sous nos yeux. Non seulement le PCF n’est en position de gagner que dans
une très petite quantité de circonscriptions, mais il a empêché dans de
nombreuses autres la France Insoumise d’être présente au second tour. Le
citoyen lambda, au demeurant, s’y est perdu, ne sachant pas parfois qui était
qui et qui représentait quel programme. Bref, cette histoire au aussi, selon
moi, favorisé l’abstention chez les « nôtres »
Notons enfin qu’un effet sous-estimé de l’abstention est le
faible nombre de triangulaires. En effet, pour se maintenir au second tour d’une
législative, il faut avoir rassemblé 12,5% des inscrits, soit environ 25% des
suffrages exprimés si l’abstention est de l’ordre de 50%, ce qui est quasiment
impossible quand un partir ou un mouvement balaye tout sur son passage. Cela qui
élimine d’office les candidats arrivés en troisième position et qui sont le
plus souvent des nouveaux venus en politique, moins implantés localement et/ou
connus nationalement (souvent FN ou LFI), si l’on excepte REM bien entendu
puisque le scrutin les a mis largement en tête (la fameuse vague citée plus
haut).
Où étiez-vous, les gens ?
Tout cela étant dit, il est manifeste que la France insoumise
a été victime de cette abstention massive. À peine plus de 45% des citoyens qui
avaient voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle se
sont déplacés pour voter et parmi ceux-là , une minorité a quand-même ont voté
pour REM au prétexte qu’il faut donner une chance au président.
Il est trop tard désormais. Certes, près de 80 candidats
issus de LFI ou soutenus par ce mouvement sont présents au second tour mais
cela ne changera rien à la « couleur » de l’assemblée nationale.
Alors, je pose la question. Où étiez-vous, les gens ? Auriez-vous raté un
épisode ? Avez-vous sous-estimé l’importance du scrutin ou trop écouté les
sondages ? Car, il faut quand même le rappeler, il y a des gens qui se
battent depuis des mois, jusqu’à l’épuisement souvent. Mais ils ne se battent
pas pour eux, pour un poste ou un mandat ; ils se battent pour un monde
meilleur, un monde pour les plus pauvres, un monde pour les déshérités, pour
les oubliés… Mais si les oubliés oublient d’aller voter, alors à quoi bon ?
Nous allons en prendre pour cinq ans, c’est maintenant une
quasi-certitude. Mais nous pouvons limiter les dégâts, tenter d’empêcher le
gouvernement d’agir par ordonnances, anticiper et mener les luttes qui arrivent,
assoir notre mouvement dans l’avenir, préparer les prochaines échéances, se
tenir prêt à gagner.
Alors, chers abstentionnistes du premier tour, et
abstentionnistes potentiels du second, allez-votez, sortez de chez-vous, faites
le maximum, limitons les dégâts
Pour un monde plus juste, plus respectueux de l’environnement,
plus humaniste.
Évidemment, je mets un bémol. Dans de nombreuses
circonscriptions, le FN est opposé à REM. Or, rappelons-le, aucune voix ne doit
aller au Front National, ce parti qui non seulement est un leurre, mais qui
puise se force dans nos rangs pour mieux les détruire. Chacun, en son âme et conscience,
pourra décider de voter pour le candidat du président, voter blanc, déposer un bulletin nul dans l’urne, ou s'abstenir (ce qui serait alors une "abtention positive").
J-Luc Menet, 17 juin 2017
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