Connaissez-vous ces gentils animaux qui détruisent des arbres
pour faire des barrages ? Nous prendrait-on pour des castors ?
Le tsunami de 2002
En 2002, un événement pour le moins inattendu est survenu. Pour
la première fois dans l’histoire de la république, un parti de haine, un parti
d’extrême droite, arrivait en finale d’un scrutin d’importance. Immédiatement,
les sirènes se sont mises en marche. Il fallait faire barrage, voter pour
Jacques Chirac, ce que nous fîmes, moutons que nous fûmes. En conséquence, un
président de la 5è république, qui n’avait obtenu que 19,88 % des suffrages au
premier tour, obtint le meilleur score de toute l’histoire avec 82,21% au
second tour.
Entre temps, nous étions allés dans la rue dire haut et fort
que non, nous ne voulions pas de Jean-Marie Le Pen. Le Front républicain était
né. Longue vie à lui.
Cette année-là, Le Pen avait obtenu 4.800.000 voix au premier
tour. Il en obtint 5.500.000 deux semaines plus tard, contre 25.500.000 pour
Jacques Chirac.
Après l’élection intervinrent les longues litanies avec des
belles paroles qui disaient à peu près « je vous ai compris » ou de « nous
vous avons entendus », le tout sur un air de flûte, évidemment.
Car depuis, le Front National, même s’il ne s’est plus
retrouvé au second tour d’une élection présidentielle (sauf en 2017 !), n’a
cessé de monter en puissance, en particulier au niveau local. Il y eu ici et là
des triangulaires qui sauvèrent tel ou tel parti, des arrangements d’arrière-cour,
que sais-je encore…
Mais revenons à 2002. Chirac avait l’occasion d’en appeler
aux français, de proposer un gouvernement d’union nationale, de prendre la
mesure du cataclysme qui venait de se produire. Il n’en fit rien. Au contraire,
il mit en place une politique conservatrice et libérale très dure pour l’époque,
même si aujourd’hui, elle passerait presque pour une politique d’extrême
gauche.
2015
Élections régionales de 2015. Le FN est en passe de
remporter une bonne partie des régions. Nouveau chant des sirènes et nouveau front
républicain au point que de nombreuses régions, désormais, sauf gouvernées avec
quasiment aucune autre opposition que celle du FN. Et on ressort aussi les
litanies du « je vous ai compris », du « nous serons à l’écoute ».
En 2015, la mort dans l’âme, j’ai à nouveau participé à ce
front républicain. Je me suis dit que cette fois-ci, peut-être…
Mais non, plus rien. La politique à-la-papa, quoi !
2017
Ne revenons pas sur les résultats du premier tour de l’élection
présidentielle. Chacun les connaît.
Une fois de plus, la plupart des responsables politiques ont
annoncé qu’il fallait faire front contre le FN. Et ceux qui ne l’ont pas
(encore) fait se sont vus attribuer les pires noms d’oiseaux ; ils sont
tenus pour les responsables à venir de la future Bérézina.
Ne cédons pas à ces injonctions et réfléchissons tranquillement
aux choix qui se présentent à nous. Mais avant cela, il faut savoir de quoi on
parle. Car tout est lié au mode de scrutin.
Une légende bien
établie
Commençons par rappeler ce qu’est une élection
présidentielle ou plutôt quel est le sens d’un scrutin uninominal à deux tours.
Il est une légende qui traîne, une phrase emblématique qui
est répétée à l’envie sans qu’on sache trop à qui en attribuer la paternité.
Cette sentence, c’est : « au
premier tour on choisit, au second, on élimine ! ».
Si on prend cette phrase au premier degré et que, comme moi,
on refuse par principe de voter pour le Front National, alors la logique
voudrait qu’on l’élimine de la course en votant pour Emmanuel Macron, et ce
quel que soit son projet. Outre que cela est démocratiquement absurde, à la
lumière des précédents scrutins alimentés par les sirènes du front républicain,
cette vision manichéenne des choses est probablement fausse.
L’idée de la 5è République est que la présence d'un second
tour permet un report des voix pouvant amener à un consensus. Elle favorise par
ailleurs une division bipartiste du monde politique, et c’est ce que nous avons
constaté sur de nombreux scrutins avec ce qu’il est convenu d’appeler l’alternance
droite-gauche.
Or, ce « clivage » politique a explosé dimanche.
Macron a dit à plusieurs reprises vouloir dépasser les clivages ; quant à
Marine Le Pen, son parti est nationaliste. Ajoutons que l’un et l’autre se
disent hors système et ils le sont à leur manière. Comment, dans ce cas, leur
appliquer des raisonnements « systémiques » ? Ainsi, le
bipartisme sous-jacent au mode de scrutin à deux tours n’existe plus et d’ailleurs
quatre mouvements se divisent à peu près équitablement plus de 80% des voix du
premier tour de l’élection présidentielle.
Cohérence et consensus ?
Un second tour est en réalité un moyen stratégique,
politique, permettant aux choix démocratiques de retrouver une certaine cohérence,
même si cette idée est contestée notamment par Arrow (*).
On parle donc ici de consensus. Mais pour qu’il y ait
consensus, il faut qu’il y ait préalablement discussion. Or personne ne
discute, à l’évidence.
Pourtant, la seule manière pour Emmanuel Macron de gouverner
durablement la France, est de chercher un consensus à partir des suffrages
exprimés qui, je le répète, représentent quasiment la même proportion que ceux
qu’il a lui-même recueillis. Mais a-t-on entendu de sa part la moindre
proposition allant dans ce sens ? A-t-il proposé un gouvernement d’union
nationale pour faire barrage au FN ? A-t-il intégré à son projet des
mesures du programme LR dans le sien ? S’est-il tourné vers les électeurs de
la France Insoumise en leur proposant je ne sais quel concession ? Autrement
dit, a-t-il tenté de rassembler ?
Que nenni.
Dans ce qu’on appelle « l’entre-deux tours », le
futur vainqueur est censé rassembler, ouvrir son programme. Macron ne souhaite pas
le faire. Macron ne le fera pas.
Faire barrage ?
Une partie des voix d’Emmanuel Macron, quoi qu’on en dise, est
déjà le résultat d’un front républicain avant l’heure puisque plusieurs
responsables politiques et de nombreuses personnalités ont appelé à voter pour
lui dès le premier tour pour faire barrage au Front National. Visiblement, sur
ce point ils ont échoué !
Aujourd’hui, on nous dit de faire front. Mais qui agite
devant nous ce drapeau de la peur ?
Expliquez-moi pourquoi ce serait au citoyen lambda de faire
front ? Évidemment, nos responsables politiques connaissent notre passion
et aussi notre sens du devoir. Oui nous avons peur que par notre décision, le
FN arrive au pouvoir. Mais qui a fait front durant toutes ces années ? Qui
a condamné les idées du FN, qui a réfuté ses thèses ?
Et au contraire, qui a favorisé l’implantation durable du FN
implanté durablement dans notre paysage politique sinon la politique de ceux
qui veulent aujourd’hui que nous fassions barrage ? Qui l’a aidé à accéder
au second tour ?
Au demeurant, mais c’est un procès d’intention, je reste
convaincu que l’affiche du second tour, annoncée depuis toujours comme la seule
possible, arrangeait tout le monde. La quasi-totalité des commentateurs de la « médiacratie »
n’attendait que cela. Ils l’ont rêvé, ils l’ont fait.
La dédiabolisation prétendue du FN ne s’est pas faire toute
seule. Il a bien fallu que les médias y participent, allant parfois jusqu’à
déroule le tapis rouge à sa présidente.
Le 7 mai prochain, je
ne voterai ni FN, ni EM.
Jamais je ne pourrais mettre dans une enveloppe un bulletin
FN.
Mais, sauf si Macron infléchissait sa politique, ouvrait les
bras aux électeurs de la France Insoumise, je ne voterai pas non plus Macron.
Ce qui se passera alors ne me regarde pas. Je continuerai à
défendre un certain nombre de valeurs et d’idées. Je continuerai à me battre
contre, mais je ne ferai pas front avec
la meute. Le front républicain, c’est tous les jours, pas une fois tous les
cinq ans.
J-Luc Menet
(*) Le théorème d'impossibilité d'Arrow, également
appelé « paradoxe d'Arrow » (1972), dit qu’il n'existe pas de
processus de choix social indiscutable, qui permette d'exprimer une hiérarchie
des préférences cohérente pour une collectivité à partir de l'agrégation des
préférences individuelles exprimées par chacun des membres de cette même
collectivité. Selon Arrow, la seule exception est celui où le processus de
choix social coïncide avec celui d'un seul individu, ce qui est souvent le cas
des dictatures, indépendamment du reste de la population