Un blog de plus ? Un blog pour qui, un blog pour quoi, un blog pourquoi ?

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Cet espace est alimenté bien maladroitement (et peut-être pas assez souvent) par une poignée de personnes souhaitant réfléchir à quelques problèmes sociétaux. Fous que nous sommes, nous désirons soumettre le fruit de cette réflexion à la sagacité des uns et des autres. Le tout dans un esprit d’ouverture et de bonne franquette. Avouons-le dès à présent, nous sommes des Insoumis et à ce titre (nous y reviendrons souvent), nous partageons l’essentiel des idées du programme de l’avenir en commun. Mais à vrai dire il est une seule chose qui anime notre pensée, qui fédère notre action, qui alimente nos réflexions, et elle tient en quatre mots : l’humain d’abord.

Nous n’obligeons personne à partager nos goûts et nos idées, mais nous tenons aussi à ce que ce soit réciproque. Nous souhaitons proposer des solutions, partager des informations, favoriser les échanges, élever le débat, vivre… Il y sera question d’éducation, de poésie de temps à autre, de « canchons » (eh oui, nous sommes nordistes), d’environnement souvent, de littérature parfois, de culture si nous y parvenons, de jardinage peut-être, de mode de vie sans doute… mais surtout de politique. Quoi de plus normal en cette année présidentielle… et au-delà.

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mardi 25 avril 2017

La théorie du barrage, une histoire de castors



Connaissez-vous ces gentils animaux qui détruisent des arbres pour faire des barrages ? Nous prendrait-on pour des castors ?

Le tsunami de 2002
En 2002, un événement pour le moins inattendu est survenu. Pour la première fois dans l’histoire de la république, un parti de haine, un parti d’extrême droite, arrivait en finale d’un scrutin d’importance. Immédiatement, les sirènes se sont mises en marche. Il fallait faire barrage, voter pour Jacques Chirac, ce que nous fîmes, moutons que nous fûmes. En conséquence, un président de la 5è république, qui n’avait obtenu que 19,88 % des suffrages au premier tour, obtint le meilleur score de toute l’histoire avec 82,21% au second tour.
Entre temps, nous étions allés dans la rue dire haut et fort que non, nous ne voulions pas de Jean-Marie Le Pen. Le Front républicain était né. Longue vie à lui.
Cette année-là, Le Pen avait obtenu 4.800.000 voix au premier tour. Il en obtint 5.500.000 deux semaines plus tard, contre 25.500.000 pour Jacques Chirac.
Après l’élection intervinrent les longues litanies avec des belles paroles qui disaient à peu près « je vous ai compris » ou de « nous vous avons entendus », le tout sur un air de flûte, évidemment.
Car depuis, le Front National, même s’il ne s’est plus retrouvé au second tour d’une élection présidentielle (sauf en 2017 !), n’a cessé de monter en puissance, en particulier au niveau local. Il y eu ici et là des triangulaires qui sauvèrent tel ou tel parti, des arrangements d’arrière-cour, que sais-je encore…
Mais revenons à 2002. Chirac avait l’occasion d’en appeler aux français, de proposer un gouvernement d’union nationale, de prendre la mesure du cataclysme qui venait de se produire. Il n’en fit rien. Au contraire, il mit en place une politique conservatrice et libérale très dure pour l’époque, même si aujourd’hui, elle passerait presque pour une politique d’extrême gauche.

2015
Élections régionales de 2015. Le FN est en passe de remporter une bonne partie des régions. Nouveau chant des sirènes et nouveau front républicain au point que de nombreuses régions, désormais, sauf gouvernées avec quasiment aucune autre opposition que celle du FN. Et on ressort aussi les litanies du « je vous ai compris », du « nous serons à l’écoute ».
En 2015, la mort dans l’âme, j’ai à nouveau participé à ce front républicain. Je me suis dit que cette fois-ci, peut-être…
Mais non, plus rien. La politique à-la-papa, quoi !

2017
Ne revenons pas sur les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Chacun les connaît.
Une fois de plus, la plupart des responsables politiques ont annoncé qu’il fallait faire front contre le FN. Et ceux qui ne l’ont pas (encore) fait se sont vus attribuer les pires noms d’oiseaux ; ils sont tenus pour les responsables à venir de la future Bérézina.
Ne cédons pas à ces injonctions et réfléchissons tranquillement aux choix qui se présentent à nous. Mais avant cela, il faut savoir de quoi on parle. Car tout est lié au mode de scrutin.

Une légende bien établie
Commençons par rappeler ce qu’est une élection présidentielle ou plutôt quel est le sens d’un scrutin uninominal à deux tours.
Il est une légende qui traîne, une phrase emblématique qui est répétée à l’envie sans qu’on sache trop à qui en attribuer la paternité. Cette sentence, c’est : « au premier tour on choisit, au second, on élimine ! ».
Si on prend cette phrase au premier degré et que, comme moi, on refuse par principe de voter pour le Front National, alors la logique voudrait qu’on l’élimine de la course en votant pour Emmanuel Macron, et ce quel que soit son projet. Outre que cela est démocratiquement absurde, à la lumière des précédents scrutins alimentés par les sirènes du front républicain, cette vision manichéenne des choses est probablement fausse.
L’idée de la 5è République est que la présence d'un second tour permet un report des voix pouvant amener à un consensus. Elle favorise par ailleurs une division bipartiste du monde politique, et c’est ce que nous avons constaté sur de nombreux scrutins avec ce qu’il est convenu d’appeler l’alternance droite-gauche.
Or, ce « clivage » politique a explosé dimanche. Macron a dit à plusieurs reprises vouloir dépasser les clivages ; quant à Marine Le Pen, son parti est nationaliste. Ajoutons que l’un et l’autre se disent hors système et ils le sont à leur manière. Comment, dans ce cas, leur appliquer des raisonnements « systémiques » ? Ainsi, le bipartisme sous-jacent au mode de scrutin à deux tours n’existe plus et d’ailleurs quatre mouvements se divisent à peu près équitablement plus de 80% des voix du premier tour de l’élection présidentielle.

Cohérence et consensus ?
Un second tour est en réalité un moyen stratégique, politique, permettant aux choix démocratiques de retrouver une certaine cohérence, même si cette idée est contestée notamment par Arrow (*).
On parle donc ici de consensus. Mais pour qu’il y ait consensus, il faut qu’il y ait préalablement discussion. Or personne ne discute, à l’évidence.
Pourtant, la seule manière pour Emmanuel Macron de gouverner durablement la France, est de chercher un consensus à partir des suffrages exprimés qui, je le répète, représentent quasiment la même proportion que ceux qu’il a lui-même recueillis. Mais a-t-on entendu de sa part la moindre proposition allant dans ce sens ? A-t-il proposé un gouvernement d’union nationale pour faire barrage au FN ? A-t-il intégré à son projet des mesures du programme LR dans le sien ? S’est-il tourné vers les électeurs de la France Insoumise en leur proposant je ne sais quel concession ? Autrement dit, a-t-il tenté de rassembler ? Que nenni.
Dans ce qu’on appelle « l’entre-deux tours », le futur vainqueur est censé rassembler, ouvrir son programme. Macron ne souhaite pas le faire. Macron ne le fera pas.

Faire barrage ?
Une partie des voix d’Emmanuel Macron, quoi qu’on en dise, est déjà le résultat d’un front républicain avant l’heure puisque plusieurs responsables politiques et de nombreuses personnalités ont appelé à voter pour lui dès le premier tour pour faire barrage au Front National. Visiblement, sur ce point ils ont échoué !
Aujourd’hui, on nous dit de faire front. Mais qui agite devant nous ce drapeau de la peur ?
Expliquez-moi pourquoi ce serait au citoyen lambda de faire front ? Évidemment, nos responsables politiques connaissent notre passion et aussi notre sens du devoir. Oui nous avons peur que par notre décision, le FN arrive au pouvoir. Mais qui a fait front durant toutes ces années ? Qui a condamné les idées du FN, qui a réfuté ses thèses ?
Et au contraire, qui a favorisé l’implantation durable du FN implanté durablement dans notre paysage politique sinon la politique de ceux qui veulent aujourd’hui que nous fassions barrage ? Qui l’a aidé à accéder au second tour ?
Au demeurant, mais c’est un procès d’intention, je reste convaincu que l’affiche du second tour, annoncée depuis toujours comme la seule possible, arrangeait tout le monde. La quasi-totalité des commentateurs de la « médiacratie » n’attendait que cela. Ils l’ont rêvé, ils l’ont fait.
La dédiabolisation prétendue du FN ne s’est pas faire toute seule. Il a bien fallu que les médias y participent, allant parfois jusqu’à déroule le tapis rouge à sa présidente.

Le 7 mai prochain, je ne voterai ni FN, ni EM.
Jamais je ne pourrais mettre dans une enveloppe un bulletin FN.
Mais, sauf si Macron infléchissait sa politique, ouvrait les bras aux électeurs de la France Insoumise, je ne voterai pas non plus Macron.
Ce qui se passera alors ne me regarde pas. Je continuerai à défendre un certain nombre de valeurs et d’idées. Je continuerai à me battre contre, mais je ne ferai pas front avec la meute. Le front républicain, c’est tous les jours, pas une fois tous les cinq ans.

                                                 J-Luc Menet

(*) Le théorème d'impossibilité d'Arrow, également appelé « paradoxe d'Arrow » (1972), dit qu’il n'existe pas de processus de choix social indiscutable, qui permette d'exprimer une hiérarchie des préférences cohérente pour une collectivité à partir de l'agrégation des préférences individuelles exprimées par chacun des membres de cette même collectivité. Selon Arrow, la seule exception est celui où le processus de choix social coïncide avec celui d'un seul individu, ce qui est souvent le cas des dictatures, indépendamment du reste de la population